lundi 13 juillet 2015

Nous sommes impliquées dans l'aide à la DPJ notre façon mais certaines aident autrement



Incursion dans le quotidien d’un professionnel au métier pas banal. Cette semaine : Gabrielle Matern, bénévole de la DPJ.

Fraîchement retraitée, elle se lève aux aurores pour jouer au taxi, une bonne partie de la journée. Pour qui ? Pour des enfants qui ne sont pas les siens. Une sainte, vous dites ? Non, mais pas loin. Voici Gabrielle Matern, chauffeuse bénévole pour les enfants de la DPJ.
Nous l’avons rencontrée un petit matin de juin, pour une journée bien remplie. Assise dans sa Subaru, nous avons sillonné avec elle la ville d’est en ouest, du nord au sud, sans relâche, déjouant ainsi bouchons, nids-de-poule, et cônes orange. Quand on connaît l’état des routes de la métropole, on sait à quel point ce périple relève de l’exploit.
Pour quoi faire, au juste ? Une bonne action entre mille : aller chercher un enfant ici, dans sa famille d’accueil, pour l’amener là-bas, retrouver ses parents biologiques, pour une rencontre supervisée. En chercher un autre à l’école, pour un rendez-vous avec sa mère, dans une salle d’attente d’un centre jeunesse. Parce que sans transport, ces enfants-là feraient quoi ? Comment se rendraient-ils à leurs différents rendez-vous, rencontres avec leur travailleur social, avec leurs parents, au tribunal ? Excellente question…
DES BESOINS CRIANTS
Quand on sait que chaque année, le Centre jeunesse de Montréal rend des services à plus de 13 000 enfants et familles, gère un réseau de plus de 560 familles d’accueil, hébergeant plus de 1100 enfants, sans compter les différents sites et foyers de groupes qui logent à leur tour quelque 700 jeunes, on saisit un peu l’ampleur des besoins. Or au total, seuls 43 bénévoles comme Gabrielle Matern transportent ainsi ces enfants de 0 à 18 ans négligés, abusés, maltraités ou carrément abandonnés. Des enfants tous aux prises avec un sérieux trouble de l’attachement.
Alors si vous lui demandez pourquoi elle fait ça, la dame n’hésite pas. Tranquillement, elle répond : « Pour faire quelque chose de bien dans ma journée. Pour aider un enfant », dit-elle, comme s’il s’agissait de l’évidence même.
Il est 8 h 10. Nous nous rencontrons devant un bureau du centre jeunesse de l’est de la ville. Première destination : le nord, afin de ramasser un bambin à reconduire ensuite dans un centre de jour spécialisé, pour les enfants aux prises avec un trouble de l’attachement. Le trajet est long, et nous avons amplement le temps de jaser.
LE « PRIVILÈGE » D’AIDER UN ENFANT
La bénévole est enjouée, dynamique, rieuse. On dirait qu’elle a le boulot le plus divertissant en ville. « Je n’ai jamais été aussi occupée ! », dit en pouffant la femme, élégante, à la manucure impeccable, qui a tout de même travaillé 35 ans aux ressources humaines d’Air Canada. Et c’est aussi en des termes surprenant qu’elle parle de son bénévolat : du « privilège » de passer du temps avec ces enfants, de certains dont « veut, veut pas, on s’attache », même du « courage » de leurs parents, qui, à bout de souffle, appellent parfois pour demander de l’aide.
Chaque fois qu’elle fait monter un enfant dans son auto, après l’avoir attaché et repris le volant (et il faut la voir changer ses sièges d’appoint comme une vraie pro en deux temps trois mouvements), elle sait rapidement trouver le mot juste pour l’apprivoiser : « Tu veux écouter Caillou ? ». Trente fois dans la journée, nous chanterons ensemble « Chez nous à la maison… » Une sainte, vous dites ?
LE TRUC : PRENDRE SON TEMPS 
Parfois, les enfants, comme le premier que nous ramassons, sont d’une timidité à tout casser, et ne soufflent pas un mot du trajet. Elle ne saura alors rien d’eux. D’autres ont visiblement envie de parler. Si certains font des crises ? Bien sûr que oui. Parce qu’ils ne veulent pas quitter leur mère, ou inversement, ne veulent pas quitter la famille d’accueil, ou encore parce que le parent ne s’est jamais pointé au rendez-vous (oui, ça arrive…), le transfert dans sa voiture n’est pas nécessairement évident. « Alors on prend son temps », dit-elle, tout simplement.
« On reste tranquille, on parle, on prend un peu notre temps et on part. Je sais qu’avec un enfant, autant que possible, si on lui donne un peu de temps, il sait ce qu’il doit faire. »
— Gabrielle Matern, bénévole

LA « MATANTE » PAR EXCELLENCE
Et à la voir aller, on n’a pas de mal à la croire. « Comment s’appelle le chat de Caillou ? », « tu veux un bonbon ? », elle est la matante par excellence.
Et la « matante » sait aussi très bien que quand elle va chercher un ado à l’école, mieux vaut cacher son identification du centre jeunesse.
Pour ne pas gêner l’enfant, pour ne pas éveiller les soupçons, bref, pour passer inaperçue. « Dis que tu as une vieille tante tannante et pas cool », ou encore « je suis l’amie de ta mère, tu as rendez-vous chez le dentiste »…
UN BREF INSTANT D’AFFECTION
Nous ramassons ensuite une gamine de 2 ans dans sa famille d’accueil, pour l’amener à son tour dans une maison anonyme d’Hochelaga-Maisonneuve, à une visite supervisée de six heures en présence de ses parents biologiques. La gamine a des grands yeux cernés, mouillés. Elle tient fermement deux toutous pandas et ne souffle pas le moindre mot du trajet. Mais à force de chansons, Gabrielle Matern finit par lui arracher un sourire. Mieux : arrivée à destination, la petite la regarde et, sans un mot, lui tend les bras. La bénévole se penche et la porte affectueusement jusqu’à la maison. Toujours muette, la gamine patiente dans un petit portique, qui fait office de salle d’attente, quand tout à coup arrive une deuxième fillette, à peine plus vieille, en courant. « Sophie* ! ! ! ! ! » Le visage de la petite s’illumine. On devine qu’il s’agit de sa sœur, également convoquée à une rencontre supervisée. Et non, vous l’aurez compris, les deux enfants ne sont pas placées dans le même foyer d’accueil. « Ça arrive », nous confie alors son chauffeur, qui a déjà connu des jumeaux ainsi séparés. « Ils étaient dans deux familles différentes, dans deux villes différentes. Parfois, il vaut mieux ne pas savoir pourquoi… »
Une fois les deux petites parties, les deux chauffeurs se saluent, échangent quelques mots, puis reprennent leur route. Pas de temps à perdre.
D’autres enfants les attendent.
*Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat de l’enfant.
30 000
déplacements sont faits chaque année à la DPJ
59 km
Distance moyenne d’un déplacement
3 millions
de kilomètres sont parcourus chaque année
61 ans
Moyenne d’âge des bénévoles de la DPJ

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